Qui sont les Lulua Bashilange de Kalamba?

  • CONSEQUENCES DE LA COLONISATION

    Extrait de De la lutte pour la libération du peuple Lulua de Mukenge Shabantu

    3. Problèmes de coexistence

    Nous déduisons de ce qui précède que partout où il Y avait des Missions, des postes de l'Etat et certaines agglomérations importantes, régnait l'injustice à l'endroit des Bapemba, Bena Moyo, Balulua. Le colonisateur-fonctionnaires, missionnaires, commerçants, etc .. a été tenté d'ignorer les propriétaires du sol au profit des immigrants dont ils ont fait leurs alliés. Les droits de l'homme, en ce qui concernait les Lulua, étaient foulés aux pieds pour la raison majeure suivante:
    « Les Lulua nous ont fait la guerre, ainsi il faut les e10igner des postes d'Etat et de Mission ». Cette guerre était fondée - donc nécessaire - indispensable puisque indépendants, nous ne voulions pas de l'occupation étrangère. Cette guerre a duré 15 ans mais nous ne comprenons pas que l'occupant, lui, parle de 9 ans soit de 1881 - 1890. Mais en relisant attentivement Luntumbue Muena Muabo, il s'avère que la guerre a duré 15 ans. Et c'est cette même guerre qui a inspiré aux Lulua la célèbre chanson de «Nkonko ne Kalamba mbakakeba malu, bakashala batunyanga».

    Et dire que la Mission-mère de Mikalayi connut le même sort que les autres missions alors que c'est MUKENGE KALAMBA en personne qui attribua, au premier missionnaire catholique, la colline sur laquelle fut fondée la Mission de Luluabourg Saint Joseph, Mikalayi ...
    Tshiakosa, Mutshiayila, Shamatengu, Tshinyama Bena Kazadi et Kalamba lui-même en tête, quittèrent Kempe pour s'installer à environ 8 km à l'ouest de Mikalayi.

    La construction du chemin de fer vers les années 1925 qui nécessita le recrutement de nombreux travailleurs fut aussi une occasion propice pour les Baluba de se fixer le long du chemin de fer du BCK- Port Francqui (actuel Ilebo) - Sakania].
    Si les victimes de l'épuration lancée par Ngongo Lutete avaient par-ci par-là réussi à s'intégrer dans la Communauté lulua, il n'en a pas été de même pour la dernière vague d'immigration, celle ayant été attirée par la construction du Chemin de fer ou par des postes de l'Etat ainsi que des missions. «Demeurés autonomes et indépendants, - c'est le Père KEERBERGHEN qui l’écrit- ils ont vécu comme des Maîtres en pays conquis!» L'occasion pour le peuple lulua de méditer sur cet adage Kondapi mulema munu, le proverbe luba qui signifie que les gens rendent le mal pour le bien ...

    Sans vouloir justifier le comportement ni la réaction des Lulua face à ces provocations incessantes qui se sont intensifiées à partir de 1955, nous laissons au lecteur le soin de réfléchir sur cette pensée du Chanoine Jadot, aumônier en Chef de la Force Publique à cette époque là: « Le Congolais endure avec patience et souvent stoïquement les souffrances physiques, mais il est extrêmement sensible au mépris sous quelques formes que ce soit. »

    Le changement des conditions de vie, au lieu d'inspirer des sentiments aussi nobles que la reconnaissance, envers les anciens bienfaiteurs, engendra plutôt le mépris vis-à-vis des Lulua qui ironisaient en demandant aux autres : « Wanyisha didimbi kupola, kumanyi buloba buakalua dio /» (Tu apprécies le goût du fruit sans savoir de quel sol il a été tiré ?) Pareil état d'esprit n'était pas fait pour harmoniser les rapports entre ces deux communautés. Des calomnies fusaient de partout à l'endroit des Lulua alors accusés d'être des chétifs, paresseux, voleurs, têtus, belliqueux, incapables ...

    Cette injustice qui s'était développée dans les missions et les postes de l'Etat, s'étendit partout jusque dans les sociétés et les entreprises, dans les établissements bancaires, dans l'enseignement et chose plus grave, dans l'administration publique. Lorsque les responsables de toutes ces institutions voulaient engager des ouvriers, des cadres de collaboration ou de commandement, 80% d'entre eux s'adressaient aux missions ayant formé les personnes dont ils avaient besoin. L’engagement des travailleurs et employés dans les sociétés, l'admission des enfants lulua dans les écoles, même si ces enfants manifestaient un intérêt particulier pour étudier, tout était soumis à une sélection sur base tribale, cet obstacle devenant quasi infranchissable pour les Lulua ainsi discriminés.

    L’anecdote suivante illustre bien cet état de choses: notre moniteur de 3' primaire nous raconta son séjour d'études à Bunkonde. Brillant élève, il fut surpris à la fin de la 5ème primaire, de s'entendre dite qu'il devait rentrer au village alors qu'il s'attendait, comme les autres, à être retenu pour continuer ses études soit au Séminaire, soit à l'Ecole Normale de Mikalayi, soit enfin, à l'Ecole Moyenne de Katoka. Ce fut le lot de tant d'autres qui subissaient le même sort à Kabue, à Mikalayi, à Ndekesha, à Mayi-Munene et à Demba. Il faut bien le reconnaître, dans cet environnement dominé par l'injustice, aucune lueur d'espoir ne semblait pouvoir, un jour, pointer à l'horizon en faveur des infortunés. Et comme il n'y a pas de règle sans exception, nous reconnaissons que quelques-uns arrivaient à franchir le cap du pri­maire et à se faire admettre au secondaire. Pour ces rares exceptions, il fallait travailler dur pour se maintenir et réussir afin d'obtenir le diplô­me des humanités.
    Dans leur livre, L’Académie de la pensée africaine, Monseigneur KABONGO KANUNDOWI et BILOLO MUBABINGE écrivent ce qui suit :
    Kuikala bakese ku dimanya mukanda ki nkuikala bashadile to. Baluba ba mua Mukenge Kalamba mbakaya kukeba binkalabua (a) ne bakadi ben­da mushinga ne bena mu Angola (b) bakavua ne bingoma (c) ne bzlamba (d) ne binga bintu bzluile ku Mputu (e) bangabanga ne dimonangana dia­bo ne binkalabua. Bakabanga kusangisha bantu bua kuasa nzubu mine­ne, misoko minene, bimenga binene bifuanangane ne Nyangwe. (f) Bobo mbakandamuna mpata yaMzkalayi ne ya Lulua kuluabio tshisalu tshi­nene tshia bukua Bisamba (g).
    Bena Beleshi bakanyingalala bikole pa kupetabo baluba aba ku Mzkalayi ne ku Lulua bamane kumanya malu a binkalabua, bamane kuikala ne bintu bia ku Mputu, ne bamane kumanya kaluila (kipatshila) ka ba bele­shi mu Kasayi . Ke kubanga kubela mvita yamishindu yonso.
    Dishidimuka diabo ne ditabuluka diabo « bakaluakale» ke ditu dienze ne batu bashale banemekangana ne Bakuba, Batshioko, Bakete, Bena Kanyoka, Babindi, Basonge, Batetela,o amu nanku.

    Ce qui se traduit par:
    Avoir peu d'intellectuels ne veut pas dire qu'on est arriéré, moins intelligent. Les Baluba de Mukenge Kalamba ce sont eux qui invitèrent les Blancs. Ils commerçaient avec les Angolais, ils possédaient des fusils, des vêtements et beaucoup d'autres objets venant d'Europe avant qu'ils se trouvent face à des Belges. Ils réunirent les gens pour construire de grands villages et de grandes villes semblables à Nyangwe. Ce sont eux qui avaient changé les plaines de la Mikalayi et la Lulua devenant ainsi un grand marché. Des Belges avaient beaucoup regretté d'avoir trouvé ces Baluba de Mukenge Kalamba a la Mikalayi et a la Lulua déja développés et connaissant les Blancs et leur objectif à atteindre au Kasaï; d'où une guer­re implacable qu'ils ont menée contre les Lulua. Le relveil de Baluba-Bapemba et leur développement expliquent le respect mutuel entre eux et les Bakuba, Batshiokwe, Bakete, Bena Kanyoka, Babindi, Basonge, Batetela; etc.

    Ce début d'espoir avait fait qu'au Séminaire de Kabwe, à l'Ecole Moyenne de Katoka et ensuite à celle de Bulongo, à l'Ecole Normale de Mikalayi, à la Cadulac de Kamponde ou au Collège Jean Berchmans de Kamponde, à la Fomulac de Kalenda, le nombre, bien qu'infime de quelques Lulua triés qui atteignaient la classe terminale, prouvait aux professeurs que l'intelligence n'était pas l'apanage d'une tribu ni d'une race donnée. Ils avaient réussi à atteindre ce niveau grâce à leur volon­té inébranlable et à leur assiduité au travail intellectuel.

    Nous devons aussi reconnaître qu'au départ, la formation des jeunes lulua à l'école primaire n'était certes pas bien suivie par beau­coup de parents lulua à cause de la méfiance envers l'homme blanc en général et des missionnaires en particulier. D'où la réticence qui s'en suivit car les Lulua ne cessaient de s'interroger sur le devenir des enfants.

    Ici, nous laissons parler le Père KEERBERGHEN : « Il y avait aussi quelques enfants libres, mais leur nombre n'était pas important au début, il était difficile d'obtenir des parents libres d'envoyer leurs garçons à l'école»

    Mais quoi qu'il en soit, des enfants confiés pour instruction aux missionnaires dans les écoles, rares étaient ceux qui ont pu franchir la barrière. Une émergence s'opéra cependant parmi ceux-là dont on ne pouvait arrêter ni empêcher l'ascension de l'une ou de l'autre manière ; ceux dont on serait tenté de dire avec le Cardinal MALULA, qu'ils étaient dans le plan de Dieu ou tout simplement des pionniers.

    A l'Ecole Normale de Mikalayi en 1945, à la fin de nos études, dans notre promotion, la classe terminale, une semaine avant la proclamation des résultats, les trois prêtres: Jules DECKERS, Henri BOGAERTS et Charles DE WILDE, respectivement Inspecteur de l'Enseignement Primaire et Secondaire, Directeur de l'Ecole Normale et Professeur à l'Ecole Normale, entrent dans notre classe, et le Père DECKERS de faire la déclaration suivante: «Nous n'étions pas préve­nants à l'égard des Lulua, suite aux fausses accusations sur leur comp­te comme quoi ils sont moins intelligents par rapport aux Baluba! Nous nous rendons compte actuellement que c'est tout à fait faux et que nous avons commis beaucoup d'erreurs à ce sujet. Désormais, nous allons écrire une lettre aux supérieurs des Missions et aux Directeurs des écoles primaires, leur demandant d'envoyer beaucoup d'enfants lulua à l'Ecole Normale afin que ces derniers s'occupent des jeunes pour les envoyer au Séminaire, à l'Ecole Moyenne de Katoka et pour leur promotion socio-Dans l'ouvrage intitulé: Le défi mondial, Jean Jacques SERVAN­SCHNEIDER écrit: «Et que les japonais n'ont rien fait pour dissiper, se contentant de continuer, en silence, à piocher toujours plus profond dans le gisement unique et inépuisable qu'ils ont découvert par la force de choses et qui s'avère d'année en année, plus fécond, plus riche, plus précieux, celui de l'intelligence. » Or, cette ressource-là, ne constitue ni le monopole, ni la chasse-gardée des seuls japonais. Si tel est le secret, alors il nous appartient aussi: Nous -je veux dire: nous Européens, nous Indiens, nous Africains, nous Arabes, nous Américains ou Chinois, nous Blancs, nous Noirs du nord et du sud, nous jaunes, -nous tous, les quatre milliards et demis d'humains pouvons aussi l'exploiter. Il n y a pas d'intelligence japonaise, seulement une intelligence humaine, la seule spécificité des japonais étant qu'ils ont pris le parti, les premiers; de l'exploiter à fond,».

    S'agissant particulièrement de la supériorité raciale ou nationale, nous aimerions évoquer ici une expérience réalisée par le Professeur BLOOM de l'Université de Chicago aux Etats-Unis d'Amérique. Il mesura un jour, les quotients intellectuels de deux enfants dont l'un amené d'un kibboutz d'Israël et l'autre d'un pays d'Afrique Centrale. Le résultat montra que l'enfant israélien avait un QI. de 115 contre 85 pour le petit africain, marquant ainsi une différence due à leur origine, que l'un était de qualité supérieure et l'autre de qualité inférieure ... Mais plus tard, soit au niveau de la 5' ou de la 6' année primaire, un autre professeur nommé FORD demanda à un couple d'immigrants venus d'Afrique de placer leur petit enfant dans une école maternelle en même temps qu'un autre enfant de même âge venu lui, d'Israël. «Après une année commune en maternelle, la mesure Q.I. de deux était identique: 115». L’expérience de FORD était évidemment la bonne. Elle réfutait ainsi toute théorie d'infériorité ou de supériorité liée à la race et démontrait que le cerveau est stimulé en grande partie par l'environnement et par l'entraînement.

    Certes, à l'époque, les premiers missionnaires ne pouvaient pas penser à de tels exercices pour déceler ce que la science est parvenue, aujourd'hui à découvrir. Quant à nous, nous pouvons tout simplement affirmer que l'homme est le produit de son milieu.
    Le dénigrement pratiqué par les Baluba à l'endroit des Lulua auprès du colonisateur, en les traitant de paresseux, d'inintelligents et en les chargeant de tant d'autres défauts, ne pouvait pas laisser éternellement ceux-ci indifférents et insensibles.

    Une réflexion sur les rapports entre les colonisateurs et les Congolais nous vient de Paul LOMAMI TSHIBAMBA, un des premiers écrivains congolais.

    Les rapports entre l'Administration coloniale et les Congolais suscitent chez lui une inquiétude, voire une certaine angoisse exprimée dans cette question: «Quelle sera notre place dans le monde de demain?»

    Voici ce qu'il a écrit: «qu'on nous laisse donc libre accès à une certaine situation aisée, avantageuse sous tous les points de vue et qu'on nous aide efficacement et humainement à nous y comporter avec toute la congruité désirable: ce n'est qu'ainsi qu'on fera de nous de vrais hommes, notre personnalité respectée, notre patriotisme comme notre loyalisme n'en seront que plus heureusement renforcés pour le bien de nos deux races en fusion. Trop de restrictions, trop de conditions sévères, des mesures draconiennes, des gestes et des langages brutaux équivalent bien manifestement à une barrière et ne peuvent que nuire à toutes les parties.
    Nous ne pouvons atteindre un niveau élevé de civilisation que si ton nous laisse de la latitude, que si ton nous aide en nous faisant accéder à une situation non pas platoniquement avantageuse mais réellement efficiente en tous points de vue. Voilà notre postulat.»
    Cette réflexion de Paul LOMAMI TSHIBAMBA avait paru dans La voix du Congolais de 1949-1950 et pour sa part le Professeur Isidore NDAYWEL è Nziem l'a reprise dans son livre Histoire générale du Congo, les trois derniers paragraphes.

    Nous ramenons au niveau du peuple lulua, ce que Paul LOMAMI avait conçu au niveau de l'ensemble des Congolais.
    Les premiers acteurs à relever la tête furent les enseignants lulua qui mirent sur pied une organisation susceptible de les amener à se défendre contre ceux-là mêmes qui les empêchaient par tous les moyens d'aller de l'avant, d'améliorer leur sort dans le concert des peuples épris de paix et de justice. A partir de 1948, des visites furent organisées dans les missions de Tshidimba, Tshikula, Ntambwe Saint Bernard, Saint Clément, Mikalayi, Demba, Kabuluanda, Ndekesha, Mbulungu, Kajangayi, Bunkonde, Lubondayi et Mutoto pour ne citer que celles-là.
    Des contacts réguliers et permanents furent amorcés, des réunions commencèrent par un engagement de soi et de chacun pour une tâche aussi exaltante que difficile mais qui exigeait un travail sans relâche. A travers ces visites et échanges, les ambassadeurs du réveil de la conscience-Lulua, visaient les objectifs ci-après:
    1. Affirmer la personnalité des Lulua au sein des tribus ou peuples du Congo;
    2. Faire un examen de conscience individuel et collectif de tout un peuple meurtri afin de mieux cerner nos failles et améliorer notre sort pour ainsi amorcer notre développement.
    3. Nous impliquer, grâce à une solidarité agissante n'importe où, n'importe quand, et de toutes les manières, dans un processus de développement dont nous étions jusque-là éjectés.
    4. Rejeter énergiquement cette déconsidération affichée à notre endroit dans l'administration, dans l'enseignement et dans les entreprises ...
    Un Lulua conscient ne pouvait pas «Ignorer le désordre et continuer à rester inerte» pour reprendre les mots d'Emmanuel Mounier...